Les Vins d’Alsace et les Expositions Universelles : une longue histoire

En 2025, les Vins d’Alsace représentent la France lors de l’exposition universelle qui se tiendra du 13 avril au 13 octobre 2025 sur une île artificielle au large d’Osaka, au Japon. 28 millions de visiteurs sont attendus. 

Une longue histoire relie les Vins d’Alsace et les Expositions, dites "universelles" qui furent créées au milieu du XIXe siècle pour présenter, en pleine révolution industrielle, la vitrine technique et artistique de différentes nations.

Souvenirs de l'Exposition universelle de 1855 à Paris, Jules Chasté, lithographe, Lithographie en couleurs. Épinal, imprimerie Pelletin, BnF, département des Estampes et de la Photographie
Souvenirs de l'Exposition universelle de 1855 à Paris, Jules Chasté, lithographe, Lithographie en couleurs. Épinal, imprimerie Pelletin, BnF, département des Estampes et de la Photographie

À l’origine des expositions universelles, il y a la volonté de montrer l’industrie et le commerce au public. En 1798, une première exposition industrielle est organisée en France pour commémorer l’anniversaire de la République. Les objets sont mis en concurrence et soumis à un jury. Puis la France organise des manifestations nationales tous les cinq ans à partir de 1834. L'évènement de 1849 avait même accueilli le prince Albert, époux de la reine Victoria. Ce dernier de retour en Angleterre, émit l’idée de monter à Londres une grande exposition internationale. 

En 1851, l’Angleterre organise une exposition ouverte aux produits étrangers : le 1ᵉʳ mai, la première exposition universelle est inaugurée par la reine Victoria à Londres. Le Crystal Palace, tout de fer et de verre, est construit à Hyde Park afin d'exposer les milliers d’objets. L’exposition rassemble près de 6 millions de visiteurs pour 14 000 exposants. Véritable succès, le modèle est repris à Paris en 1855, sous le Second Empire. La première exposition universelle parisienne se singularise par son ouverture aux Beaux-arts. Entre mai et novembre 1855, la capitale française accueille près de 24 000 exposants, notamment dans son Palais de l’industrie, situé sur les lieux des actuels Petit et Grand Palais. D’un pavillon à l’autre, la capitale célèbre les nations et renforce le prestige de Napoléon III.

La médaille de 1ere Classe de l'Exposition Universelle de Paris 1855 figure sur cette magnifique étiquette de Tokay sec Climat du Haut Rhin, L. Favre & Alex. Jöranson à Ribeauvillé
La médaille de 1ere Classe de l'Exposition Universelle de Paris 1855 figure sur cette magnifique étiquette de Tokay sec Climat du Haut Rhin, L. Favre & Alex. Jöranson à Ribeauvillé

L’inauguration de l’Exposition Universelle de Paris 1855 sera fixée au 1er mai 1855. Afin de mobiliser tout le pays et de sélectionner le plus grand nombre possible d’articles à exposer, les organisateurs avaient demandé aux préfets de créer un comité local dans leur départements. La France, "pays du vin" souhaitait mettre en valeur ses productions viticoles et s'efforçât de "classer" ses crus à cette occasion. La classification officielle des vins de Bordeaux de 1855 est resté célèbre. 

Le Haut-Rhin a présenté quelques vins du premier négociant en vin d'Alsace qui vendait tous ses vins en bouteilles : la maison "Favre et Jöranson" de Ribeauvillé. Nous pouvons découvrir dans la publication "Exposition universelle de 1855 : Rapports du Jury mixte international" publiée en  1856 que  "MM. Favre et Joranson, à Ribeauvillers (Haut-Rhin), nous ont présenté un vin de Tokai (paille) et Tokai (sec), climat du Haut-Rhin. Ces deux espèces de vin surpassent en arome et en saveur tout ce que nous avions vu jusqu'alors: on rencontre rarement des vins qui possèdent un bouquet aussi agréable. Le vin de Tokai (paille), de 1835, et le Tokai (sec), climat du Haut-Rhin, ne laissent rien à désirer. Les vins exposés sont : le Riesling, de 1822 ; le Tokai sec du Rhin, de 1834 ; l'Edelwein, de 1834; le Tokai sec du Haut-Rhin, de 1816, et le vin de paille, de 1835. Tous ces vins se recommandent par leur bonne qualité."

La maison Favre et Jöranson sera récompensée d'une médaille de 1ere Classe, ce qui constitue un véritable honneur car très peu de vins blancs français ont été médaillés. L'historien Claude Muller, nous apprend dans un article de "L'Est Agricole et Viticole" du 11 octobre 2013, que Jean-Louis Favre qui était né à Péron dans l'Ain en 1792 et était décédé à Ribeauvillé en 1871 avait épousé Henriette Barth (1786-1858), veuve du négociant Jean Alexandre Jöranson. C'est avec le fils de cette dernière Théodore Jöranson (1814-1883) que Jean-Louis Favre avait fondé une maison de négoce en vins à Ribeauvillé appelée "Favre et Jöranson". Favre était un fervent défenseur de la qualité des vins d'Alsace et un militant de la culture des vins fins. L'ensemble de ses vins étaient expédiés en bouteilles et présents à partir des années 1850 sur de nombreuses tables à Paris et à Londres. Un article publié dans la gazette de Ribeauvillé vers 1850 signale que "cette maison rend service à la contrée dont les bons vins finiront par rendre rang dans le commerce". Malheureusement la maison n'eu pas de suite au décès de Favre. 

Exposition Universelle de. Londres 1862
Exposition Universelle de. Londres 1862

En 1861, l’Angleterre souhaitait marquer l’anniversaire des 10 ans de sa grande invention que fut la fameuse Exposition Universelle de 1851, en organisant une troisième exposition qui surpasserait encore l'Exposition Universelle de 1855 à Paris. Retardée d’un an, à cause de conflits engageant les grandes nations de l’Europe, l’Exposition Universelle de Londres 1862 ouvre finalement le 1er mai 1862. Reprenant le modèle français de 1855, il s’agit d’une Exposition Universelle de l’agriculture, de l’industrie et des Beaux-arts, à laquelle la France est conviée, sous les auspices de la paix retrouvée. L’événement accueille 39 pays sous la même nef principale du Palais de l’Exposition. Œuvre de l’architecte Francis Fowke, ce bâtiment opère la synthèse entre le Crystal Palace de l'Exposition Universelle de 1851 et le Palais de l’Industrie français de l'Exposition Universelle de 1855 par l’emploi conjugué de la brique, du fer et du verre.

En 1862, le premier véritable événement promotionnel du vignoble régional est initié par Henry Schlumberger (1817-1876) de Guebwiller, qui s'était formé à son métier d'industriel en Angleterre.
En 1862, le premier véritable événement promotionnel du vignoble régional est initié par Henry Schlumberger (1817-1876) de Guebwiller, qui s'était formé à son métier d'industriel en Angleterre.

Les Comices Agricoles du département du Haut-Rhin s'attachent à sélectionner les meilleurs vins et c'est le Préfet qui adresse au Ministère de l'agriculture la proposition de sélection en ces termes "nous attendons beaucoup de l'exhibition de nos vins qui ont encore trop de préjugés à combattre, et auxquels on ne manquera pas de rendre justice, en leur donnant place parmi les produits les plus goutés de la viticulture française".

Pour faire connaître leurs produits, les vignerons alsaciens imaginent alors une présentation prestigieuse. Il s'agit du premier véritable événement promotionnel du vignoble alsacien initié par Henry Schlumberger de Guebwiller. Ce dernier s'était formé à son métier d'industriel en Angleterre et s'était installé en 1854 à la Neuenbourg. Passionné d'agronomie et de botanique, il s'était inscrit dans les initiatives portées une génération plus tôt par le préfet Félix Desportes et le ministre de l'intérieur Chaptal ainsi que dans le mouvement d'amélioration lié à la création en 1833 des comices agricoles et en 1842 de la Société départementale d'agriculture. Henry Schlumberger se passionna très vite pour l'ampélographie et le développement d'une viticulture de qualité et proposa d'exposer ses vins et ceux de ses collègues à Londres. 

L'effort promotionnel rassembla quatorze communes et dix-neuf vignerons. Soixante quatre vins furent proposés à l'exposition. Les vins furent rassemblés dans une vitrine commune sous le nom de "Vins d'Alsace - Haut-Rhin" avec des étiquettes spéciales indiquant les noms de la commune originaire, de l'exposant et du cépage ainsi que la date de récolte et le prix qui lui était affecté.

La liste des vins proposés ainsi leurs millésimes et les Domaines représentés est édifiante.[1] Nous retrouvons dans l'Album de l'Exposition universelle de Londres en 1862 rédigé par M. le baron L. Brisse des bureaux de l'Album de l'Exposition de Londres" (Paris), 1864 la liste des vins et des domaines : Commune de Ribeauvillé : Favre-Jöranson, Beysser, Schiffmann, Hommel, Blum, Commune de Hunawihr : Trimbach, Greiner, Guebwiller : Schlumberger, Commune de Riquewihr, Commune de Turckheim, Commune d'Eguisheim : Jaeger , Commune de Beblenheim : Saltzmann, Commune de Zellenberg : Kien. 

Le Bulletin N°3 de la Société Départementale d'Agriculture du Haut-Rhin daté de Mai 1862 présente la liste de l'ensemble des vins et millésimes et domaines qui ont envoyé leurs échantillons à Londres. 

La revue de l'Exposition précise que avec cette contribution "L'Alsace apportait, avec une fierté juste, des vins du Rhin français qui, par une bonne culture continue, arriveront un jour à valoir ceux du Rhin allemand. Ils ont déjà le bouquet et la force ; ils attendent plus de finesse et de franchise. Le jury a donné une médaille à chacun des groupes de Guebviller, Soultzmath (sic). Riquewihr, Ribeauvillé et Turckheim, Le goût anglais est évidemment pour quelque chose dans cette munificence : Londres raffole des vins du Haut-Rhin. Cette exposition de 1862 en aura pour des années à nous causer des étonnements." [2]

The International Exhibition of 1862 , numéro : 28  Editeur : The London Stereoscopic and Photographic Company
The International Exhibition of 1862 , numéro : 28 Editeur : The London Stereoscopic and Photographic Company

Ce fut effectivement un grand succès mais malheureusement, la Guerre de 1870 et les conséquences du Traité de Francfort associées aux maladies de la vigne et en particulier le phylloxéra détecté en France en 1863 et en Alsace à Bollwiller en 1876 vont durablement ralentir les efforts des vignerons de 1862. Seuls deux domaines ont malgré tout survécu et restent encore aujourd’hui des fleurons de la viticulture alsacienne : Trimbach et Schlumberger.


Notes de bas de page :

[1] Claude Muller, Alsace, une civilisation de la vigne, Editions Place Stanislas, 2010, Page 187

[2] Pierre Aymar-Bression, La France à Londres en 1862 : revue de l'exposition ... -   1863,  page 493


Bibliographie : 

- Cercle de Recherches Historique de Ribeauvillé et Environs, "Chronique de la viticulture à Ribeauvillé de 14000 à 1900", Revue n°22, 2014

- Claude Muller, Alsace une civilisation de la vigne, Editions place Stanislas, 2010

- Claude Muller, La Plume & la Vigne, Editions Reber, 2014

- Cécile Modanese, La région de Guebwiller, Une Alsace loin des clichés, La Nuée Bleue, 2022

- Caroline CLAUDE-BRONNER, Histoire de la lutte contre les maladies de la vigne en Alsace de 1800 à 1939, Mémoire de Maîtrise d'Histoire, 1997

 


Informations sur l'auteur

Caroline CLAUDE-BRONNER

fondatrice de Chemins Bio en Alsace , guide conférencière diplômée en Histoire, fille de vignerons alsaciens, passionnée par sa région, vous propose ses services de guidage et d'accompagnement dans la bonne humeur et le respect de l'environnement pour tout public, du junior au senior.

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