Le RETABLE D'ISSENHEIM ou le pouvoir de guérir ?

Au début du XVIe siècle, Mathis Gothard Nithard appelé "Grünewald" a imaginé un retable extraordinaire. Il s'agit d'une commande destinée à orner la chapelle du couvent-hôpital des Antonins d’Issenheim, en Alsace. Ce n’était certainement pas un simple décor. 

A découvrir de toute urgence au MUSÉE UNTERLINDEN à Colmar en Alsace. 

La puissance de la Résurrection - Panneau du Retable d'Issenheim - Matthias Grünenwald - Musée Unterlinden,  Colmar
La puissance de la Résurrection - Panneau du Retable d'Issenheim - Matthias Grünenwald - Musée Unterlinden, Colmar

Le feu de Saint Antoine

Depuis l'Antiquité, une terrible maladie sévissait régulièrement entraînant des douleurs et des symptômes affreux tels que bubons, pustules, gangrène des membres et crises de délire et d'hallucinations. Comme personne ne connaissait la cause de cette maladie, on attribuait alors à Saint-Antoine des pouvoirs de guérison. En effet, les légendes et récits du Moyen Age, à l'instar de "La Légende Dorée" de Jacques de Voragine, parlent d'un moine thaumaturge, qui avait appris à se défendre contre les démons de la maladie lors de son long séjour dans le désert égyptien au 4e siècle. La croyance disait que ses reliques continuaient de faire des miracles.

L'agression de Saint-Antoine, Panneau du Retable d'Issenheim - Musée Unterlinden, Colmar
L'agression de Saint-Antoine, Panneau du Retable d'Issenheim - Musée Unterlinden, Colmar

L'ordre des Antonins

Vers 1074, Jocelin de Châteauneuf, fils du seigneur de la Motte-Saint-Didier en Viennois aurait été guéri par saint Antoine qui lui serait apparu et lui aurait demandé de tenir la promesse qu'il avait faite d'accomplir le pèlerinage en Terre sainte et de rapporter ses reliques. De retour des croisades, il dépose les reliques à l'abbaye de la Motte aux Bois en Dauphiné. En 1095, l'Ordre des Antonins est fondé, il est chargé de soigner les nombreux malades du "feu sacré" aussi appelé "mal des ardents" ou "feu de Saint-Antoine". Une foule de pèlerins se rendaient dans les lieux de culte des Antonins pour invoquer les "terribles pouvoirs" du Saint, qui tout à la fois croyaient-ils protégeaient de la maladie mais pouvait également punir ceux qui le méritaient. L'Ordre des Hospitaliers de Saint Antoine dont l'emblème est le "T" s'est très vite déployé à l'échelle européenne et comptait plus de 370 commanderies, maisons de quête et prieurés à son apogée c’est-à-dire du 14e au 16e siècle. 

Le Retable ouvert, les sculptures ont retrouvé leurs polychromies d'origines, Retable d'Issenheim, Musée Unterlinden - photographie : www.cheminsbioenalsace.fr
Le Retable ouvert, les sculptures ont retrouvé leurs polychromies d'origines, Retable d'Issenheim, Musée Unterlinden - photographie : www.cheminsbioenalsace.fr

La préceptorie d'Issenheim

Auréolés de succès, les Antonins sont appelés par les Habsbourg à Issenheim, en 1298. Une préceptorie y est fondée, elle devient une des plus importante en Europe du Nord. L'âge d'or d'Issenheim se situe fin du 15e siècle sous les préceptorats de Jean d'Orlier et de Guy Guers. Le premier, s'attache un jeune artiste colmarien du nom de Martin Schongauer. Il lui commande le retable aujourd'hui appelé "Retable d'Orlier" dont les 4 panneaux encore existants sont à découvrir au Musée Unterlinden. En 1512, Guy Guers embauche Maître Mathis dit "Grünewald", pour réaliser le grand retable. A partir de 1515, les malades entièrement pris en charge par les antonins, bien nourris, vêtis, et soignés seront régulièrement exposés devant ce retable. 

Le saint-Vinage - détail du Panneau du "Concert des Anges" - Retable d'Issenheim, Musée Unterlinden, Colmar
Le saint-Vinage - détail du Panneau du "Concert des Anges" - Retable d'Issenheim, Musée Unterlinden, Colmar

Le Claviceps purpurea ou Ergot du seigle.

Les séjours dans les établissements hospitaliers tenus par les Antonins étaient souvent couronnés de succès, puisque le malade s'éloignait de la source de la maladie qui était en réalité ...le pain de seigle. En effet, au Moyen Age, le seigle était une céréale très répandue notamment car elle résistait mieux que le blé au froid. Mais lors d'étés chauds et humides, le seigle pouvait être contaminé par un minuscule champignon le Claviceps purpurea ou Ergot du seigle qui infectait les farines. Cet empoisonnement alimentaire lié aux alcaloïdes puissants contenus dans le champignon se révélait particulièrement important en période de disette, lorsque la consommation de farine de seigle de médiocre qualité était importante. Les premiers symptômes de la maladie se manifestaient plusieurs semaines après la consommation de pain contaminé : d'abord apparaissaient des tremblements et des contractions musculaires ainsi que des inflammations ressenties comme des brulures intenses puis la peau se couvrait de taches violacées et finalement la gangrène gagnait les bras et les jambes. Parallèlement le malade était souvent atteint d’hallucinations et de démence. 

Ergot du seigle ( source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Ergot_du_seigle)
Ergot du seigle ( source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Ergot_du_seigle)

Le saint Vinage

Un des remèdes employé par les Antonins consiste en l'administration d'un breuvage médicinal composé de vin additionné de décoctions de plantes médicinales mis en contact avec les reliques du Saint. Au pied de la scène de la rencontre des deux ermites peinte par Grünewald, on peut compter 14 plantes médicinales souvent répertoriées comme pouvant entrer dans la composition du Saint Vinage : Grand Plantain, Plantain lancéolé, Coquelicot, Verveine, Renoncule bulbeuse, Scrofulaire aquatique, Ortie blanche, Chiendent rampant, Véronique petit chêne, Gentiane croisette,  Dompte venin, Trèfle blanc, Souchet et Epeautre.

Ces plantes sédatives, narcotiques, désinfectantes ou activant la circulation sanguine, étaient la plupart du temps accommodées de vinaigre, de miel concassées, bouillies macérées dans du vin. Elles permettaient l'élaboration de nombreux emplâtres, jus et autres décoctions ou encore d'onguents destinés aux plaies ouvertes et aux ulcères. L'effet de cicatrisation était avant tout recherché pour les nombreux malades amputés de leurs membres. Nombre de ces plantes contiennent des principes actifs, encore utilisés en pharmacologie de nos jours. L’efficacité attribuée au saint-vinage, s’explique certes par la macération de plantes aux effets anesthésiants et vasodiladateurs,  mais ce qui semble avoir compté pour les malades d'alors ce n’est pas tant la composition des plantes médicinales, mais le fait d’avoir bu un breuvage qui a été en contact direct avec les reliques du saint.  Ce ne sont pas les plantes qui soulagent, c’est saint Antoine ! Il s'agit d'y croire, le leitmotiv des Antonins étant "Glauben durch Heilen, Heilen durch Glauben".

Ce n'est qu'à la fin du 16e siècle, que des médecins découvrent l'origine du feu sacré dans l'ergot de seigle, ce champignon à l'origine de l'empoisonnement. Il suffit alors de trier les céréales pour contenir l'ergotisme. Le déclin des Antonins d'Issenheim devient alors irrémédiable d'autant plus que la guerre de Trente Ans les touche durement. Issenheim est repris par les Augustins puis les Johannites avant la sécularisation en 1789 et la vente en tant que bien national. Les trésors artistiques qui ont survécu sont alors transportés en 1793 à Colmar où ils sont mis en sécurité. Au milieu du 19e siècle, la société Schongauer fonde le Musée Unterlinden à Colmar. Un musée qu'il faut absolument découvrir. Je vous invite à suivre prochainement une de mes visites. 

Visites guidées "l'art, la vigne et le vin" au Musée Unterlinden - le Saint Vinage
Visites guidées "l'art, la vigne et le vin" au Musée Unterlinden - le Saint Vinage

Je vous invite également à lire cet ouvrage "L'art qui guérit" écrit par Pierre Lemarquis, accompagné de Boris Cyrulnik. 

Les auteurs nous invitent à visiter une exposition imaginaire afin de nous faire partager leur expérience de l’art qui guéri, depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. Si les philosophes ont les premiers pressenti l’impact du beau et de l’art sur le cours de notre existence, sur notre humeur, notre état d’esprit et notre santé, leurs thèses sont désormais confirmées par les neurosciences, qui nous révèlent comment notre cerveau et, par là, notre corps entrent en résonance avec la création artistique sous toutes ses formes. On sait aujourd’hui comment l’art sculpte et caresse notre cerveau et s’avère indispensable à notre vie. Tuteur de résilience, il élargit aussi notre vision du monde et nous métamorphose dans un processus de guérison, voire de renaissance.


Pour en savoir plus : 

  • Elisabeth Clémentz, Les Antonins d’Issenheim, essor et dérive d’une vocation hospitalière, Strasbourg, 1988
  • Elisabeth Clémentz, "Les antonins d'Issenheim, la vigne et le vin", dans Les fruits de la récolte, études offertes à Jean-Michel Boehler, Presses Universitaires de Strasbourg, 2007
  • Pantxika Béguerie, Georges Bischoff, Grünewald le maître d'Issenheim, Castermann, 1996
  • Pantxika De Paepe, Magali Haas, Le retable d’Issenheim, le chef-d’oeuvre du Musée d’Unterlinden, Musée Unterlinden, Art lys, 2015
  • Pierre Lemarquis, Boris Cyrulnik, L'art qui guérit, Paris, éditions Hazan, 2020
  • "La renaissance miraculeuse du retable d’Issenheim, chef d’œuvre du XVIe siècle dévoilé à Colmar", Harry Bellet, Journal Le Monde, 23 juin 2022

Informations sur l'auteur

Caroline CLAUDE-BRONNER fondatrice de Chemins Bio en Alsace

Guide conférencière diplômée en Histoire, fille de vignerons alsaciens, passionnée par ma région, je vous propose mes services de guidage et d'accompagnement dans la bonne humeur et le respect de l'environnement pour tout public, du junior au senior.

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