Le génie du SYLVANER alsacien

Originaire d’Autriche, le Sylvaner est issu d’un ancien croisement naturel entre le Savagnin Blanc et un vieux cépage autrichien le Österreischisch Weiss [1]. Longtemps injustement considéré comme un petit cépage, le Sylvaner est aujourd’hui une des figures de proue des vins d’Alsace, offrant au dégustateur averti de très belles émotions.

Sylvaner - un grand d'Alsace ( Etiquette collection Roland Moser)
Sylvaner - un grand d'Alsace ( Etiquette collection Roland Moser)

Etymologie et légendes sauvages

Le nom  du cépage dérive du latin Silva qui signifie forêt. Sylvanus était un dieu de la Rome antique, tutélaire des forêts, il est considéré comme un genius loci soit un génie du lieu. Le nom Silvānus est une dérivation du latin silva « forêt, bois » [2]. Dans une inscription trouvée à Augusta Rauricorum (Augst) tout près de Bâle et du vignoble alsacien Sucellos le dieu au maillet protecteur des tonneliers divinité de la mythologie celtique gauloise est identifié à Sylvanus. 

On ne sait pas d’où vient le nom Silvaner, il existe diverses théories, notamment selon lesquelles le nom dérive d'une éventuelle région d'origine. Pendant longtemps, la Transylvanie roumaine ou la ville de Silvan en Asie centrale ont été considérées comme des origines possibles [3]. 

Statue antique représentant Sylvanus "génie du lieu" au Musée archéologique national de Madrid
Statue antique représentant Sylvanus "génie du lieu" au Musée archéologique national de Madrid

Ampélographie

Originaire d’Autriche, le Sylvaner est issu d’un ancien croisement naturel entre le Savagnin Blanc également appelé Heida en Valais ou Traminer au Tyrol et un vieux cépage autrichien le Österreischisch Weiss. 

A noter encore qu’il existe également une variété de Sylvaner à baies rouges extrêmement peu cultivée. Nous en possédions quelques ares au Helfant (Terroir de Muschelkalk et de recouvrement de grès) à Hunawihr et le Sylvaner de mon père était réputé. 

Le Sylvaner est un cépage qui assure une production régulière. Ses bois sont sensibles aux gelées d'hiver et les bourgeons sont fragiles face aux gelées de printemps. Peu sensible aux maladies, il s’avère toutefois fragile face à l'oïdium et, dans une moindre mesure, face au mildiou et à la pourriture grise. Cépage vigoureux, il demande peu de travail en été et est assez productif. 

Le cépage Sylvaner par Jules Troncy dans l'ouvrage "Ampélographie : traité général de viticulture" publié sous la direction de P. Viala & V. Vermorel, 1901-1910
Le cépage Sylvaner par Jules Troncy dans l'ouvrage "Ampélographie : traité général de viticulture" publié sous la direction de P. Viala & V. Vermorel, 1901-1910

Histoire du Sylvaner 

D'après Tom Scott, on retrouverait des Silvaners sur le Rhin supérieur et dans la région du lac de Constance dès le XVe siècle, ce qui demande encore a être confirmé par des sources plus précises [4].

Dans "Das Kreütter Buch" publié pour la première fois en 1539, Hieronymus Bock (1498-1554) mentionne le Grünfränkisch soit le francique vert, s'agit-il du silvaner qui a également porté ce nom ou d'un autre cépage qui porte le même nom ? 

Au XVIIe siècle, à la suite des destructions de la Guerre de Trente ans le cépage fut vraisemblablement importé par des cisterciens de la région du Danube vers le Main, où il fut planté à Castell le 10 avril 1659 sur le terroir du Schlossberg constitué de marnes à gypse. C’est pour cela qu’on l’appelait "Österreicher" soit "Autrichien" en Allemagne.

En 1665, Alberich Degen (1625-1686) abbé du monastère cistercien d'Ebrach (le premier monastère cistercien fondé sur la rive droite du Rhin en 1127) planta du Silvaner dans le vignoble du Würzburger Stein.

Une pierre rappelait cet événement, il est mentionné : "Ich habe gepflanzt, Apollo hat begossen, Gott aber hat das Wachstum gegeben. So ist weder etwas, welcher pflanzt, noch der, welcher begießt, sondern Gott, welcher das Wachstum gibt. 1. Cor. 3,6. Zum Gedenken an Abt Degen, Prior von der Zisterzienserabtei Ebrach, welcher die Österreicher Rebe (Silvaner) hier zuerst gepflanzt hat. A.D. 1665." soit "J'ai planté, Apollon a arrosé, mais Dieu a donné la croissance. Ainsi, ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne la croissance. 1. Cor. 3,6. En mémoire de l'abbé Degen, prieur de l'abbaye cistercienne d'Ebrach, qui a le premier planté ici les Österreicher Rebe (Silvaner). A.D. 1665."

Le cépage Sylvaner semble apparaître en Alsace au courant du XVIIIe siècle. 

Est-ce le "Grün-Edel" décrit comme "acinis viridioribus" soit aux baies plus vertes mentionné par Guillaume Faudel (1758-1794) originaire de Mittelwihr et médecin à Colmar, auteur en 1780 d’une remarquable thèse de médecine "De viticultura Richovillana" sur la viticulture à Riquewihr ?

Jean-Louis Stoltz, Ampélographie Rhénane (1852), Espèce Feuille-Ronde (Rundblatt) vulgairement Salviner (sic), Chromolithographie de E.Simon, Fonds patrimonial de la Bibliothèque Municipale de Mulhouse
Jean-Louis Stoltz, Ampélographie Rhénane (1852), Espèce Feuille-Ronde (Rundblatt) vulgairement Salviner (sic), Chromolithographie de E.Simon, Fonds patrimonial de la Bibliothèque Municipale de Mulhouse

Jean-Louis Stoltz dans son Ampélographie Rhénane [5] nomme le Sylvaner feuille-ronde (Rundblatt) vulgairement Salviner (sic) en 1852.

Il en décrit ainsi les caractères généraux : "Raisin de grandeur moyenne à grains serrés; simple, quelquefois rameux ou composé. Grain à chair tendre, un peu croquant, succulent et doux. Feuille ronde, trilobée, peu échancrée, parfois entière."  Stoltz fait une étude historique assez poussée du Sylvaner ( en voici quelques extraits  : « …Il résulte de mes recherches sur l'origine et les migrations de l'espèce Feuille-ronde ainsi que sur ses synonymes, que la variété à raisin blanc était connue et cultivée depuis un temps fort long et sur une assez grande échelle, dans la Basse-Autriche, aux environs de Vienne, puis près d'Oedenbourg et de Pesth, en Hongrie, sous les noms vulgaires de Zierifahndl, Zierfahnler (grüner, weisser), de Weissblancke. Elle était connue aussi, dès le 16e siècle, dans les contrées sud-est et sud-ouest de l'Allemagne, près de Wurzbourg, Klingenberg et Werthheim-sur-le-Mein (Franconie) et sur les rives du Rhin inférieur (dans le Rhingau) sous le nom vulgaire d'Oestreicher (raisin d'Autriche). En montant la rive gauche du Rhin, sa culture s'étendait sur la Haardt et jusqu'au-dessus de Wissembourg , Bas-Rhin) , sous les noms de Grünfraenkisch, Frankentraube (raisin de Franconie) et de Frankenriesling, conjointement avec ceux d'Oestreicher et de Sylvaner.

Vis-à-vis de la Haardt, sur l'autre rive du Rhin, à la Bergstrasse, depuis Weinheim jusqu'à Pfortzheim (grand-duché de Bade), dans la vallée du Neckar, aux environs de Stuttgart (Wurtemberg), elle est cultivée depuis bien longtemps sous les noms vulgaires de Sylvaner (grüner), Salviner, Salvaner quelque part aussi sous celui d'Oestreicher. Dans le Brisgau et dans l'Oberland badois ; on la nomme, suivant METZGER tantôt grüner Silvaner, tantöt grün Elmené, près du Kaiserstuhl (aux environs de Fribourg) ; on l'appelle aussi Boezinger. Les noms de grüner Riesling, Elbinger, grüner Burger, Rheinelbe, qu'on lui applique aussi parfois, sont ceux d'espèces qui n'ont aucun rapport avec celle que je décris ici. ...Il est certain que la variété blanche de la Feuille-ronde a été cultivée anciennement dans la basse et dans la haute Alsace, mais en petite quantité seulement, et que ce n'est que depuis environ quarante ans que sa culture a pris une certaine étendue, d'abord dans l'arrondissement de Saverne, près de Bouxwiller, sous le nom vulgaire de Schwabler (Souabe), ensuite dans ceux de Strasbourg et de Schlestadt, sous les noms de Sylvaner, Salvener, Salviner, Grüner (vert), et aussi sous celui de Grünedler (gentil vert) dans le canton de Barr. Du Bas-Rhin, la culture de cette varieté s'est propagée, à ce qu'il parait, dans le Haut-Rhin, mais depuis trente et quelques années seulement, dans l'arrondissement de Colmar en particulier, toujours sous le nom de grüner Sylvaner (Silvain vert). De nos jours, elle est très en vogue dans les cantons de Wasselonne, de Bouxwiller, dans celui de Barr, ainsi qu'aux environs de Wissembourg."

Vous trouverez ici les deux planches chromolithographiées par E. Simon à Strasbourg, dans l'un des exemplaires de l'ouvrage conservés dans le fonds patrimonial de la Bibliothèque municipale de Mulhouse.

Jean-Louis Stoltz, Ampélographie Rhénane (1852), Espèce Feuille-Ronde (Rundblatt) vulgairement Salviner (sic), Chromolithographie de E.Simon, Fonds patrimonial de la Bibliothèque Municipale de Mulhouse
Jean-Louis Stoltz, Ampélographie Rhénane (1852), Espèce Feuille-Ronde (Rundblatt) vulgairement Salviner (sic), Chromolithographie de E.Simon, Fonds patrimonial de la Bibliothèque Municipale de Mulhouse

Adolphe Sattler confirme la présence du Sylvaner à Riquewihr en 1868 : "Cépage existant dans la commune depuis mémoire d'homme. Vin très doux, il n'y en a guère dans la banlieue". [6]

A Ribeauvillé, le Sylvaner semble être appelé parfois grüns ou grüner encore au XIXe siècle. [7] En 1833, l'ampélographe allemand Johann Philipp Bronner mentionne qu'en Franconie le Silvaner est tellement développé qu'il serait devenu"wie das Salz in den Speisen angetroffen" c'est à dire comme le sel pour les aliments : indispensable !

En 1879, Gustav Pfarrius dans "Das Weinland Elsass" le décrit comme "Grüner Sylvaner, auch Oestreicher, Frankentraube, Salvener, Schwäbler, Gentil vert, Auxerrois in Frankreich, gros Rhin und gros Riessling in der Schweiz".

Etiquette dessinée par Henri LOUX. Le vin est expédié en fûts et mis en bouteille pour des occasions particulières comme un mariage ou un baptème. ( Etiquette collection Roland Moser)
Etiquette dessinée par Henri LOUX. Le vin est expédié en fûts et mis en bouteille pour des occasions particulières comme un mariage ou un baptème. ( Etiquette collection Roland Moser)

La plantation de Sylvaner et de Riesling a connu un fort développement au début des années 1900, dans le cadre des replantations de cépages greffés suite à la crise phylloxérique. L'Alsace alors intégrée dans l'Empire Allemand s'adapte aux goûts allemands et au marché allemand. (pour en savoir plus : voir mes articles sur la lutte contre les maladies de la vigne en Alsace)

Le professeur Paul Kulisch dans son article "Der Weinbau in Elsass-Lothringen unter der deutschen Verwaltung" publié dans Das Reichsland Elsass-Lothringen 1871-1918 en explique les raisons : "Aus der gleichen Ursache hat sich auch die Umstellung des Elsaß auf andere, übrigens dort schon von jeher gebaute Edelsorten nur in bescheidenem Maße und sehr langfam vollzogen. Es ist begreiflich, daß sicher Ausgezeichnete Erfahrungen sind beispielsweise in den verschiedensten Verhältnisten, Gebiete von Barr, den Rufacher Haulen, auch in Gertweiler und Gebweiler mit dem Übergang zum grünen Sylvaner gemacht worden, der Rebsorte des guten Pfälzer und Rheinhesslischen Tischweines" soit "Pour la même raison, la conversion de l'Alsace vers d'autres cépages nobles qui y sont toujours cultivés ne s'est faite que de manière modeste et très lente. Il est compréhensible que d'excellentes expériences ont été faites, par exemple, dans les régions les plus diverses, les régions de Barr, de Rouffach (Rufacher Haulen), ainsi qu'à Gertwiller et Guebwiller avec le passage au Sylvaner vert, le cépage de la bonne table du Palatinat et du vin de table de Rheinhessen".

Etiquette de Sylvaner Zotzenberg - un terroir réputé (Etiquette collection Roland Moser)
Etiquette de Sylvaner Zotzenberg - un terroir réputé (Etiquette collection Roland Moser)

Le Sylvaner était alors principalement servi dans de nombreux bistrots comme blanc de table, léger, gouleyant, facile à boire et bon marché. Une partie importante de sa production était alors utilisée en assemblage, notamment avec le pinot blanc, sous la dénomination "Edelzwicker".

Le Sylvaner devient néanmoins l'un des sept cépages alsaciens « nobles » contemporains dans l'ordonnance du 2 novembre 1945.

Jusqu'aux années 1970, le Sylvaner a été majoritaire dans l'encépagement alsacien (2 577 hectares en 1969, soit 27 % du vignoble). Ses hauts rendements et sa plantation surtout en plaine mais également le fait que la plupart des viticulteurs en faisaient un vin peu aromatique, dilué et surtout désaltérant, se vendant moins cher que les autres vins d'Alsace a eu comme conséquence que le Sylvaner n'a quasiment plus été planté depuis les années 1990. 

Sylvaner de Hunawihr 1923 - Domaine Trimbach - Hunawihr et Ribeauvillé
Sylvaner de Hunawihr 1923 - Domaine Trimbach - Hunawihr et Ribeauvillé

En 2005, le Sylvaner occupait 1 586 hectares sur les 15 305 hectares du vignoble alsacien en soit 10 % des surfaces en production. En 2009, le Sylvaner occupait 1 335 hectares soit 8 % du vignoble. En 2019, le Sylvaner d’Alsace occupait au sein de l’appellation Alsace une surface de 851 ha soit 5% du vignoble pour une production de 62 833 hectolitres ce qui fait sur un total de 1 028 705 hectolitres de vin une part de 6 %.[8]

Le début du XXIe siècle voit un retour de la qualité avec des Sylvaners produits à bas rendement, d'autant plus que les ceps ont souvent plus de trente ans, voir beaucoup plus.

Le Sylvaner est présent dans de très beaux terroirs (Mittelberg, Steinstuck, Durrenberg, Westhoffen...) ainsi que dans des parcelles de grands crus, notamment sur le Zotzenberg, le Zinnkoepflé et le Vorbourg, mais dans ces deux derniers cas il est vendu sous l'appellation Alsace alors que dans le cas du Zotzenberg il est autorisé sous l'appellation Alsace Grand Cru depuis 2006.

Actuellement 40% du Sylvaner alsacien est planté dans le secteur de Barr-Mittelbergheim, surtout sur le Grand Cru Zotzenberg. Ce magnifique terroir exposé à l’est et au sud, bénéficie d’un ensoleillement privilégié, d’une superficie de 36,45 ha, il se compose de marnes et calcaires jurassiques ainsi que de conglomérats calcaires et marnes de l’Oligocène, formations qui retiennent l’humidité et résistent bien à la sécheresse.

Souvenirs d'une soirée de dégustation de Sylvaner alsaciens à la Nouvelle Auberge de Whir-au-Val en décembre 2023
Souvenirs d'une soirée de dégustation de Sylvaner alsaciens à la Nouvelle Auberge de Whir-au-Val en décembre 2023

L’expression du Sylvaner est liée au terroir. Dans certains lieux (une étude précise serait la bienvenue) ce cépage produit des vins d’une très grande finesse très appréciée des connaisseurs.

Le Sylvaner a été malmené au cours de son histoire et pourtant il faut le considérer à sa juste valeur car il possède tout le potentiel des grands cépages blancs. Il donne le meilleur de lui-même lorsqu’il y a une vraie adéquation entre un climat favorable, un terroir adapté, des rendements maîtrisés et un vigneron expérimenté.


Notes de bas de page

[1] José Vouillamoz , Cépages Suisses, Histoires et Origines - Éditions Favre

[2] source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sylvanus

[3] source : https://de.wikipedia.org/wiki/Silvaner

[4] Tom Scott: Medieval Viticulture in the German-speaking Lands. In: German History. Februar 2002, page 101

[5] Jean-Louis Stoltz, l'Ampélographie Rhénane ou Description caractéristique, historique, synonymique, agronomique et économique des cépages les plus estimés et les plus cultivés dans la vallée du Rhin, depuis Bâle jusqu'à Coblence, et dans plusieurs contrées viticoles de l'Allemagne méridionale (Paris-Mulhouse, 1852)

[6] Claude Muller, Le dictionnaire des Vins d’Alsace, Editions du Belvédère, 2012

[7] Chronique de la Viticulture à Ribeauvillé de 1400 à 1900, Cercle de Recherche Historique de Ribeauvillé et Environs, Revue n°122, 2014

[8] Chiffres CIVA 2019

 

Bibliographie : 

  • Roland Moser, L'étiquette du vin d'Alsace, Jérôme Do Bentzinger, Editeur, 1993
  • Claude Sittler, Caractéristiques géologiques des vignobles entre Barr et Andlau (Bas-Rhin) : Relations entre le sous-sol, l'environnement topoclimatique et le cépage, spécificités des vins produits, Bulletin de l'Association philomathique d'Alsace et de Lorraine, 1992  en ligne https://www.numistral.fr/ark:/12148/bpt6k5320647r
  • Le Silvaner http://www.castell-gemeinde.de/weinbau/der-silvaner/index.html
  • Degen, Alberich (1625-1686) https://www.geschichte-des-weines.de

Informations sur l'auteur

Caroline CLAUDE-BRONNER

fondatrice de Chemins Bio en Alsace , guide conférencière diplômée en Histoire, fille de vignerons alsaciens, passionnée par sa région, vous propose ses services de guidage et d'accompagnement dans la bonne humeur et le respect de l'environnement pour tout public, du junior au senior.

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