À la Renaissance, l'élite politique et économique colmarienne pratiquait les "WILDBÄDER ou Bains Sauvages" qui associaient la pratique des bains de printemps à la consommation de bons vins d'Alsace, en particulier ceux du Kirrenbourg et du Grand Cru Schlossberg.
Les membres du "Wagkeller" de Colmar constituaient une société patricienne qui "n’avait pour objet que boire, manger, entretenir la bonne amitié, la paix et l’union entre les associés de tout état, religion et conditions". Le Wagkeller regroupait les représentants des corporations colmariennes, le Magistrat, les membres du Conseil et les notables. La première mention de cette "Herrentrinkstube" date du XIVe siècle.
En 1385, le Wagkeller de Colmar afferme pour une période de dix ans, son jardin situé dans le Steinbrucker Vorstadt tout en se réservant l’organisation de fêtes et le droit de pêche dans l’étang qui s’y trouve. Les bains, les spectacles, la bonne table et les bons vins s'y succèdent entre les mois de Mai et de Juin sous une grande tente. Il s'agit de la survivance d'une ancienne tradition aux origines païennes, qui prêtait des vertus stimulantes et protectrices aux bains de printemps. Ces "bains de Mai" ou de la Saint-Jean étaient pratiqués dans de nombreuses régions.
Les habitants des villes alsaciennes appréciaient les bains en rivière et fréquentaient assidûment les nombreux établissements de bains qui offraient toute une gamme de services : saunas ou étuves, bains chauds et froids, lits de repos, massages, coupe de cheveux et rasage, pose de ventouses, saignées...
Le service principal rendu aux baigneurs et baigneuses semble être le bain de vapeur, d’où le terme fréquemment retenu d'étuve (Stupa, Stuba, aestuarium). Au XVe siècle, le bain où l’on boit et où l’on mange est une distraction appréciée des citadins, et véhémentement dénoncée par les clercs les plus rigoristes : "Aussig Wasser, innig Wein, lasst uns alle frölich sein" (Geiler de Kaysersberg).
Un récent article publié dans l'excellent Blog du Musée national Suisse intitulé "Le plaisir du bain, critique de son époque" revient sur cette période où en Europe, la Réforme a entraîné un peu partout un durcissement des mœurs. Les artistes aussi ont dû s’y faire sous peine de perdre des commandes. Mais ce ne fut pas du goût de tout le monde, comme en témoigne le tableau "Les bains de Loèche" 1597 de Hans Bock un artiste originaire de Saverne en Alsace présenté au Kunstmuseum de Bâle.
Les scandales amènent les villes à décréter la fin des bains mixtes et à spécialiser les étuves réservées aux hommes et aux femmes. La profession de gérant d’établissements de bain (Bade, balneator) ne jouit pas d’une bonne réputation et leurs valets, hommes et femmes, encore moins. À Colmar, on relève sept étuves ou bains. Le Rädelbad est en activité de 1370 à 1670. La Badstube zum Rockenbrot (fin XIVe siècle) est convertie en tannerie dès la fin du XVe siècle. Le bain "Zum Langen Scherer" fonctionne depuis 1363 et jusqu’au début du XVIIIe siècle. Une "Nuwe Badstube" ouverte en 1379 est fermée en 1603. Le "Bain aux Plantes" (Kräuterbadstube) en service de 1474 jusqu’en 1722.
A Colmar, les rencontres printanières et conviviales du Wagkeller se tenaient dans le jardin de la société, devant la porte de Bâle, "eine Badefart und freuntliche Gesellschaft mitteinander ze habe uff Sontag … in den badgarten by uns zu ziehen". En 1489, ces réjouissances ont eu lieu du 18 mai au 3 juin et ont réunis 53 participants : les notables de la ville, le prévôt, le greffier-syndic, sept chanoines de Saint-Martin, le Leutpriester et ses chapelains, l’abbé de Munster, le commandeur de Saint-Jean ainsi que les nobles Hans Oswald de Hattstatt, Michel Wurmelin et Jorg de Sultz.
Le financement des bains de Printemps représente un budget important et en plus de la contribution de chaque participant a à raison de 17 schillings. Le coût de ces réjouissances, chiffré à 74 livres 9 schillings 3 pfennigs, est minoré par la remise de cadeaux et l'appel au crowdfunding médiéval (on a rien inventé) . "Ainsi, l’aubergiste zum Hase et celui zum Vogelgesang ont offert chacun un agneau. La corporation des bouchers a fourni, à son tour, un agneau tandis que celle des pêcheurs s'est s’acquittée d’une somme de 5 schillings. Les comtes de Wurtemberg ont fait livrer un demi foudre de vin. La ville de Kaysersberg a offert, quant à elle, un florin d’or. Munster avait fait parvenir un agneau et deux fromages. Le Wagkeller a ainsi bénéficié de 37 dons, la plupart en argent (abbaye de Pairis, couvent d’Unterlinden, bailli de Sainte-Croix-en-Plaine, couvent des Augustins…) soit un total de 11 livres 5 pfennigs."
Dès 1459, le Wagkeller fait également fonction d'Hôtel de ville (à part quelques interruptions) jusqu'à ce qu'il dût céder sa place au Conseil Souverain d'Alsace en 1698. Wagkeller signifie caveau à la balance. En 1595, Nicolas Börlin, sculpteur municipal couronna la façade d'une statue tenant d’une main la balance, de l’autre le glaive, symbolisant la justice et rappelant ainsi l’origine du nom Wagkeller. Une réplique de la statue couronne actuellement le fronton du Tribunal de Grande Instance, ancien Palais du Conseil Souverain qui remplaça le Wagkeller.
Le Kirrenbourg : vin défendu aux femmes
La consommation de bons vins est une des activités principales de cette société. A partir de 1597, le Wagkeller de Colmar est propriétaire d'une vigne au Kirrenbourg. Cette dernière lui avait été léguée par Nicolas Schultheiss, un de ses membres, conseiller au magistrat de Colmar. Il s'agit de la propriété la plus estimée par les membres du Wagkeller. En effet, cette vigne située sur le ban de Kientzheim, dans un lieu appelé jadis Kœrenberg, Kiremberg ou Kehraburger et aujourd'hui Kirrenbourg dans le Grand Cru Schlossberg a joué un grand rôle dans la société du Wagkeller. Le vin produit sur ce terroir est qualifié dans les papiers de la société de "vin très excellent et ayant incontestablement la préférence sur tous les autres crus de l'Alsace."
Les statuts de 1713 stipulant : «Il est constant que l'on ne décède pas tandis que l'on boit de ce bon vin, très utile pour la santé de l'homme en le buvant maîtrement, mais raisonnablement ; il est défendu au beau sexe d'en boire, de peur que ces dames ne deviennent trop maitresses de leur maris".
Alors Mesdames, on se retrouve aux bains pour boire une belle bouteille de Kirrenbourg ?
Sources :
- Article de Francis Lichtlé "Le Wagkeller de Colmar, Une société et une auberge de notables sous l’Ancien Régime" in Revue d'Alsace N° 137, Boissons en Alsace de l'Antiquité à nos jours, 2011.
- "Statuts du Wagkeller, 1713" , Revue d'Alsace 1853 , p. 541 à 544
- "Bain", Dictionnaire Historique des Institutions de l'Alsace, Institut d'histoire d'Alsace, Université de Strasbourg https://dhialsace.bnu.fr/wiki/Bain
- Atlas historique d'Alsace : L’atlas des villes médiévales d’Alsace, Colmar II
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Le plaisir du bain, critique de son époque", Musée national, Blog https://blog.nationalmuseum.ch/fr/
Informations sur l'auteur
Caroline CLAUDE-BRONNER fondatrice de Chemins Bio en Alsace, guide conférencière diplômée en Histoire, fille de vignerons alsaciens, passionnée par sa région, vous propose ses services de guidage et d'accompagnement dans la bonne humeur et le respect de l'environnement pour tout public, du junior au senior.